Avec application, Anna se lécha l'intérieur de la main et, consciencieusement, entreprit de se recoiffer avec. Penchée sur un rétroviseur, quelque part dans une ville dont elle avait oublié le nom, la jeune demi-elfe se préparait pour l'entretien d'inscription. Il y aurait eu beaucoup à faire pour lui donner l'air présentable : une douche complète n'aurait été qu'un début. Il lui aurait fallu des vêtements à sa taille, et qui n'avaient pas vécu les sauts par-dessus les barbelés et les course-poursuites dans la décharge, bien que son bonnet avait relativement bien survécu.

Ses habits venaient d'une association caritative et étaient déjà qu'un patchwork de couleurs et de styles peu avenant lorsqu'elle les avait reçu. Un pentacourt en jean bleu nuit, un t-shirt XXL orange vif, une veste de jogging blanche aux motifs violets, et le fameux bonnet gris et jaune composaient l'essentiel de sa garde robe, avec une paire de baskets. Elle avait fait de son mieux pour les laver avec elle aux douches publiques, mais son apparence trahissait irrémédiablement son appartenance au monde de la rue.

Anna jeta un regard anxieux vers les bâtiments de la MSM, de l'autre côté du trottoir. Est-ce qu'ils accepteraient une SDF, une gamine des rues, une petite voleue parmi leurs élèves ? Elle avait économisé un peu d'argent – et pas que de l'argent du vol, il y avait aussi la dernière prime de l'état qu'ils lui avaient donné en partant de l'orphelinat et à la quelle elle n'avait jamais touché – mais elle aurait peut-être dû le dépenser pour s'acheter de nouveaux vêtements.
Son estomac grogna, lui rappelant qu'acheter un sandwich aurait peut-être aussi été une bonne idée. Elle avait trouvé une part de pizza dans une poubelle deux jours auparavant, et on lui avait donné une pomme la veille, mais ça n'était pas vraiment assez... Ses traits tirés et la maigreur de ses membres en témoignaient.

Anna finit par attacher ses bleus cheveux avec un morceau de tissus dans une petite queue de cheval. Courageusement, elle pénétra dans l'école, étonnée puis soulagée qu'une équipe d'armoires à glace ne surgisse pas de derrière un buisson pour la mettre dehors. Après quelques errements dans les couloirs – et une dame qui s'était en effet bouché le nez après lui avoir parlé, quelle honte – Anna atterrit dans ce qui semblait être une salle d'attente. Elle n'osa ni s'asseoir ni toucher à quoique ce soit et s'appuya contre un mur, près d'une fenêtre, en attendant qu'on vienne la chercher.

[ HJ : D'accord ! Voilà qui est fait, désolée pour le désagrément. ]

Anna n'avait jamais vu d'hybrides animaliers de si près et n'avait jamais eu de leçon de politesse. Elle fixait donc de ses grands yeux verts ébahis la fourrure soyeuse de l'adulte qui lui faisait face, les grandes oreilles touffues, les petites cornes, et surtout la longue queue...
Elle avait déjà croisé un homme-lèzard dans les égouts, mais sa queue n'avait aucun rapport avec celle de l'enseignante, longue et majestueuse. Un « wah... » incontrôlé s'échappa de ses lèvres ; en l'entendant, l'elfette plaqua ses deux mains sur sa bouche, rougit fortement et suivit Mme Dipta à l'intérieur de son bureau en se donnant des claques mentales. Ça commençait bien ! Elle espérait simplement que son trouble ne s'était pas trop vu, et tenta de faire bonne figure en s'asseyant en face de l'hybride.

Nerveuse, elle plaqua ses mains bien à plats sur ses genoux, et attendit qu'on lui demande son avis. Cela ne tarda pas à arriver et Anna, maintenant complètement terrorisée sans raison et persuadée d'être sur le point de se faire mettre à la porte, se mit presque à trembler.
« Ça va, merci, c'est vrai que j'ai un peu peur, et vous ? Heu, je veux dire, comment est-ce que vous allez, vous ? Pas si vous avez peur, hein. »
Oh là là, c'était complètement idiot comme réponse, elle le savait. En plus, l'odeur de chocolat chaud venait d'atteindre ses narines et son estomac répondait en conséquence. Les joues d'Anna prirent un ton de rouge plus prononcé, si encore cela était possible. C'était définitif, entre la faim, la fatigue et le stress, elle allait se mettre à paniquer.
Ce n'était pas le moment que quelqu'un allume un briquet ou veuille boire un verre d'eau dans les environs. Avec son absence totale de maitrise sur ses pouvoirs, ça ne pouvait tourner qu'à la catastrophe !

« Mmh, merci. Hé bien, heu... » Elle se gratta la tête. Par où commencer ? Elle avait préparé une réponse à cette question, mais maintenant qu'elle était en face de la professeure, elle ne s'en souvenait plus.
« Vous avez dû le lire dans mon dossier, mais je suis pupille de l'État. Je suis une elfe, ou plutôt une demi-elfe, enfin, je crois, parce que je ne connais pas mes parents, mais je suis plus vieille que j'en ai l'air. Je... Je n'ai pas pu rentrer dans une école normale parce que... parce que personne ne voulait de moi et puis, il se passe des choses bizarres quand je m'énerve ou que je suis triste et ça m'effraie un peu. On m'a dit qu'ici je pourrais apprendre à me contrôler. Et que je saurais avec d'autres m... gens différends. »

Anna s'arrêta soudain et se mordit la lèvre. Elle en avait sûrement trop dit ! Elle avait sûrement mal répondu à la question. Oh là là...

« Heu, voilà, j'espère que j'ai répondu à votre question... »

Lorsque le chocolat chaud fut tendu vers elle, Anna ne put que l'accepter en balbutiant. Elle saisit la tasse de ses mains un peu crasseuses et but, d'abord à petites gorgées, puis goulument. Un indescriptible plaisir lui coula dans les veines; le goût sucré et chaud n'étant rien à côté de la sensation infiniment plus plaisante d'avoir enfin quelque chose dans l'estomac. Son métabolisme aidant, elle devrait pouvoir tenir le restant de la journée sans que son système digestif ne se plaigne à trop grands cris.
Après avoir fait un sort au chocolat, elle se concentra à nouveau sur l'entretien, qui se passait visiblement mieux que ce qu'elle avait pu craindre.

« Mmh, comment expliquer... J'ai remarqué que quand je m'énervais, les flammes des briquets grossissent. Quand je suis triste, les verres d'eau gèlent. Quand j'ai peur, j'ai l'impression que le vent vient s'enrouler autour de moi. Et des tas d'autres trucs du même genre... J'ai lu que les elfes pouvaient contrôler les éléments, mais je ne contrôle rien du tout. Enfin, si, je sais baisser une flamme ou lui faire garder sa taille, si je me concentre très très fort, et je peux dégeler les glaçons, mais j'ai du mal. »