Aujourd'hui est un grand jour, aujourd'hui n'est pas hier, mais demain peut-être un jour, à ramasser à la cuillère....

Jig chantonnais dans les couloirs de la Monster School une chanson sans queue ni tête de son invention. Le petit être sautillait en se dirigeant vers l'aile qu'on lui avait dit réservée à l'administration pour son premier entretien. En tant que lutin, c'est vrai que les occasions sont rares de se présenter face à l'autorité autre que celle du chef de clan. Le voyage, ordonné pour on ne savait plus quelles raisons, avait été long depuis ses vastes landes sauvages, mais heureusement les occasions n'avaient pas manquées de découvrir de nouvelles choses et de nouveaux visages. Et c'est ainsi qu'un concentré d'espièglerie et de tête en l'air de 50cm de hauteur se retrouve piaillant dans les méandres de ce bâtiment.

Sanaka, et les chats, un bureau, plein d'eau... Non, j'aime pas les chats, ça faits des poils partout 'pis ça vous prends pour des souris, ouistiti. Jamais vu de ouistiti d'ailleurs, ni un pays chaud. Mais c'est chaud une cheminée, 'pis y a du feu, ça brûle, mais faut pas l'éteindre, ça non, sinon aïe les oreilles. ça pique l'ail, j'préfère l'échalote, redingote...

Le cerveau de Jig avait tendance à s'égarer mais pas ses pieds, et la bonne porte se dressait à des kilomètres au dessus semblait-il. Un petit coup frappé, un battant repoussé, et le lutin était dans le bureau, sans cesser de bavasser. Sa tenue d'un bleu indéfinissable tranchait avec la pâleur de sa peau et ses cheveux couleur paille. Un compromis avait été trouvé, et l'éternel chapeau pointu rouge était remplacé par une espèce de fleur inconnue qui se voulait également bleue mais avait visiblement subi quelques déboires. Inutile de préciser que le tout n'était dans l'ordre et la tenue communément admis, mais c'était bien le dernier de ses tracas.

Grand, grand, grand, mais pas impressionnant, une femme, bleue, ça me rappelle un caillou une fois, pas bleu, mais tout lisse. Il avait fait un bon ricochet, crochet, comme pour les serrures, je me demande si ils en ont, papillons. C'est joli un papillon, tout volant et tout, mais des fois non, la nuit moins, mais on les voit pas parce qu'il fait noir. Vous voyez dans le noir vous? J'aimerais bien moi, mais je suis pas un chat. J'aime pas les chats, ça non, ça boit le lait, c'est pour nous le lait, vieille coutume ça. Noctambule, tintinnabule, comme les cloches, dans les poches, les grelots, des marmots.

Jig sauta sur le fauteuil et resta debout avec un mouvement continu du corps de droite à gauche, dicté par sa mélopée intérieure. La femme en face de lui ne l'impressionnait guère, et si elle avait l'air surprise, personne ne le remarqua. Le lutin attendait maintenant, sans savoir vraiment quoi, mais il était évident que son silence n'allait pas être éternel et qu'à la moindre occasion, le flot mêlé de parole et de comptine sortirais du lit agité de ses pensées.

[Me voilà encore en retard ... Bienvenue ! Je réponds court pour ne pas tarder plus. ^^]

Sakki releva son visage de ses dossiers en entendant un bruit dans le couloir, comme une chansonnette, ou de simples paroles en rimes. Elle haussa un sourcil en se rendant compte que la voix s'approchait de son bureau, elle fixa la porte quelques secondes avant que celle-ci ne s'ouvre laissant entrer un petit être d'un demi-mètre de haut. C'était bien la plus petite personne qui avait passé sa porte depuis le début des entretiens. Elle la salua d'un signe de tête en lui indiquant de s'asseoir sur la chaise en face de son bureau. Ne pouvant pas parler durant la longue tirade que faisait le lutin.

"Je ne vois qu'un peu dans le noir...Hum. Viens-tu pour passer un entretien ? As-tu déjà envoyé un dossier ?"

Gardant son calme et ne répondant pas plus à la question la professeur observait le petit moulin à parole, attendant patiemment observant ses tiroirs pour sortir soit le dossier de l'élève soit un nouveau qu'il faudrait remplir. Elle avait peur de se retrouver avec une version miniature du directeur qui partait sans cesse dans des flots de paroles incessants. La dame des glaces espérait sincèrement que ce ne serait pas le cas et que le lutin parlerait moins par la suite.

La réponse laconique de la professeur relança Jig dans son pseudo-monologue.

Un entretien? Peut-être, qui sait? Je sais pas, pas moi, on m'a dit, Jig va là, d'accord d'accord, je veux pas avoir de problèmes, la bedaine. Comme celle du vieux Mac machin chouette dont je me souviens plus, mais il nous met toujours du lait devant la porte la nuit. Bien, ça, traditionnel, et tout, les clous. Ça pique aussi les clous, c'est comme l'ail, mais vous le savez déjà, koala. Il parait que c'est tout poilu, ventru, hurluberlu. C'est beau les libellules aussi, dans la lumière, l'été surtout. En hiver ça dors je crois, ou alors ça sors pas. De toute façon, même si ça sortait on pourrait pas les voir parce que nous, on sors pas.

Étrangement, la pièce semblait se rafraichir imperceptiblement tout au long de sa tirade, et son interlocutrice ne semblait pas y être étrangère. Dans un soudain élan de lucidité, Jig revint sur les questions posées... Qu'il lui était difficile de garder sa concentration sur un même sujet plus de quelques secondes! Son front plissa sous l'effort insoupçonné que ceci demandait.

Sinon, un dossier, euh, peut-être, je pense que les Vieux y auront pensé, poils aux nez. Ils en ont tous du poil au nez, même la Grande Vieille. Regardez à Jig, c'est mon nom ça, Jig, ou alors faut en refaire, je veux bien vous aidez si vous voulez, les informations moi je connais, un peu. D'ailleurs, on me le dit toujours, ça, Jig, l'information, pas besoin de la lui soutirer, ça non, faut juste un peu la décrypter. Mais qui sait, c'est peut-être pas aussi dur que ça! Et à part ça, il y a quoi à faire ici?

Rien ne semblait pouvoir stopper son élocution, et on pouvait même se demander si respirer lui était vraiment indispensable tant les arrêts entre les phrases étaient minimes.

La professeure se retint de mettre ses mains sur ses oreilles, elle se savait déjà peu agréable et elle ne voulait pas se montrer plus impolie qu'elle pouvait déjà le paraitre. Mais cette gamine était véritablement le sosie féminin miniaturisé et vivant du directeur. A parler inlassablement sans même imaginer que ceux en face d'elle pouvaient ne pas être intéressés ou aimaient que les choses soient claires. Le lutin avait beau faire des rimes cela ne rendait pas les choses plus agréables.
Quoi qu'il en soit Sakki fouilla dans les dossiers et en trouva un à son nom... et il n'y avait que le nom d'ailleurs. Jig, rien de plus, ah et la race... rien de bien utile en somme. Elle soupira avec un léger sourire.

"Tu dois donc être là pour l'entretien si quelqu'un a demandé à ce que tu viennes ici."

Parcourir le reste du dossier qu'elle avait trouvé ne fut pas long elle décida donc de commencer l'entretien comme il se devait.

"J'aimerais savoir quel âge tu as et si tu es bien un lutin comme il est écrit sur ton dossier."

Petit carnet dans une main et dossier posé sur le bureau la dame des glaces regardait calmement ses papiers en attendant des réponses, en croisant les doigts pour qu'elle ne soit pas trop perdue au milieu du flot de paroles.